J.O. 144 du 22 juin 2005       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Décision n° 2005-0278 du 19 mai 2005 portant sur la définition du marché pertinent de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional et sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative sur ce marché


NOR : ARTT0500053S



L'Autorité de régulation des télécommunications,

Vu la directive 2002/21 /CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») ;

Vu la directive 2002/19 /CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion (directive « accès ») ;

Vu les lignes directrices 2002/C 165/03 de la Commission des Communautés européennes du 11 juillet 2002 sur l'analyse du marché et l'évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire communautaire pour les réseaux et les services de communications électroniques (« lignes directrices ») ;

Vu la recommandation C(2003)497 de la Commission des Communautés européennes du 11 février 2003 concernant les marchés pertinents de produits et de services dans le secteur des communications électroniques susceptibles d'être soumis à une réglementation ex ante conformément à la directive « cadre » (recommandation « marchés pertinents ») ;

Vu la recommandation C(2003)2647 de la Commission des Communautés européennes du 23 juillet 2003 concernant les notifications, délais et consultations prévus par l'article 7 de la directive « cadre » (recommandation « notification ») ;

Vu la loi no 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle ;

Vu le code des postes et des communications électroniques, et notamment ses articles L. 36-7, L. 37-1, D. 301 et D. 302 ;

Vu l'arrêté du 12 mars 1998 autorisant la société France Télécom à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public, société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 380 129 866, et dont le siège social est situé au 6, place d'Alleray, 75505 Paris Cedex 15, ci-après dénommée « France Télécom » ;

Vu la consultation publique de l'Autorité relative à l'analyse du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, lancée le 23 juin 2004 et clôturée le 9 août 2004 ;

Vu les réponses à cette consultation publique ;

Vu la synthèse des réponses à la consultation publique portant sur la délimitation du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional et la désignation de l'opérateur exerçant une influence significative sur ce marché, réalisée par l'Autorité et publiée le 5 octobre 2004 ;

Vu la demande d'avis au Conseil de la concurrence en date du 5 octobre 2004 ;

Vu l'avis no 2005-A-03 du Conseil de la concurrence en date du 31 janvier 2005 ;

Vu la consultation publique de l'Autorité relative à l'analyse du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, lancée le 13 avril 2005 et clôturée le 13 mai 2005 ;

Vu les réponses à cette consultation publique ;

Vu la notification relative à l'analyse du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional à la Commission européenne et aux autorités réglementaires nationales de la Communauté européenne en date du 12 avril 2005 ;

Vu les commentaires de la Commission européenne en date du 11 mai 2005 ;

Après en avoir délibéré le 19 mai 2005,




I. - INTRODUCTION


L'objet de la présente décision est, d'une part, la délimitation du périmètre du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, en termes de services et en termes géographiques.

D'autre part, elle vise également à analyser l'état de la concurrence et son évolution prévisible sur le marché afin de désigner, le cas échéant, le ou les opérateurs y exerçant une influence significative.


I-A. - Le processus d'analyse des marchés


Conformément à l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, l'Autorité est en charge de la détermination des marchés du secteur des communications électroniques pertinents, susceptibles d'être soumis à une régulation ex ante. Elle conduit une analyse concurrentielle de ces marchés, et désigne le ou les opérateurs réputés exercer une influence significative sur ces marchés. Conformément à l'article L. 37-2, l'Autorité fixe ensuite en les motivant la liste des obligations imposées à ce ou ces opérateurs.

Conformément à l'article D. 301 du même code, l'Autorité a publié le 23 juin 2004 un document de consultation intitulé « Consultation publique sur l'analyse des marchés du haut débit ».

Dans ce document, après avoir analysé la situation concurrentielle prévalant sur chacun des marchés de détail et de gros du haut débit, l'Autorité a proposé une délimitation des marchés pertinents. Elle a ainsi proposé une définition du marché du dégroupage de la boucle locale, ainsi que des marchés de gros des offres d'accès large bande livrées aux niveaux régional et national. Sur chacun de ces marchés, elle a proposé une analyse conduisant à la détermination de l'entreprise exerçant une influence significative sur le marché, et a soumis à consultation une liste d'obligations qu'elle estimait proportionné et justifié d'imposer à cette entreprise.

Après avoir considéré l'ensemble des vingt-cinq contributions des acteurs et consulté le Conseil de la concurrence selon les dispositions de l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, l'Autorité a établi des projets de décisions en vue de leur transmission à la Commission européenne, ainsi qu'aux autorités réglementaires compétentes des autres États membres de l'Union européenne, projets qu'elle a soumis, en parallèle, à consultation publique du 13 avril 2005 au 13 mai 2005.

Les régulateurs des autres Etats membres n'ont pas émis de commentaire sur cette notification. La Commission a adressé à l'Autorité une lettre l'informant qu'elle n'avait pas d'observations à formuler sur l'analyse présentée par l'Autorité du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional.

L'Autorité a reçu neuf contributions en réponse à la consultation publique menée en parallèle de cette notification, qui n'ont pas mené l'Autorité à faire évoluer l'analyse présentée s'agissant de la délimitation du marché et de la désignation de l'opérateur puissant.

L'analyse du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional conduite par l'Autorité donne lieu à deux décisions : la présente décision relative à la « délimitation du marché et à la désignation de l'opérateur puissant », ainsi que la décision fixant les « obligations ».


I-B. - Durée d'application de la décision


Conformément aux prescriptions de l'article D. 301 du code des postes et des communications électroniques, l'inscription d'un marché sur la liste de l'ensemble des marchés pertinents « est prononcée pour une durée maximale de trois ans ». L'Autorité doit réviser cette liste, de sa propre initiative, « lorsque l'évolution de ce marché le justifie », ou encore « dès que possible après la modification de la recommandation de la Commission européenne » C(2003) 497 du 11 février 2003 susvisée.

En outre, en vertu de l'article D. 302 du même code, les décisions déterminant l'existence d'une influence significative sont réexaminées dans les mêmes conditions.

La présente décision s'applique jusqu'au 1er mai 2008 à compter du jour de sa publication au Journal officiel de la République française.

La Commission souligne, au point 63 des lignes directrices 2002/C 165/03 du 11 juillet 2002 susvisées, que « dans un secteur caractérisé par l'innovation constante et une convergence technologique rapide, toute définition d'un marché actuellement en vigueur risque de devenir inexacte ou désuète dans un proche avenir ».

Il en résulte que, si les évolutions des caractéristiques du marché le justifiaient, l'Autorité réexaminerait pendant cette période le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional et pourrait, le cas échéant, être amenée à prendre une nouvelle décision.


I-C. - Cadre d'analyse et acception des termes employés

I-C-1. Sur les marchés de détail


On entend par « offres d'accès large bande » ou « offres d'accès haut débit » les offres d'accès dont le débit nominal est supérieur ou égal à 128 kbit/s, quels que soient le ou les services proposés à partir de cet accès.

Ces offres se distinguent des offres d'accès bas débit, en ce qu'elles proposent une bande passante supérieure et permettent l'usage simultané du service téléphonique classique.

Plusieurs technologies d'accès large bande sont disponibles en France. La plus répandue est le DSL, avec 6,3 millions d'abonnés au 1er janvier 2005 (1), suivie par le câble, qui compte environ 450 000 abonnés (2). D'autres supports peuvent également être utilisés, comme les réseaux hertziens utilisant des technologies de type RLAN (WiFi), la boucle locale radio, les réseaux de satellites ou encore le réseau de distribution électrique (courants porteurs en ligne) ; le nombre d'accès large bande fondés sur ces technologies reste à ce jour très limité à quelques milliers d'accès selon le dernier observatoire du marché de l'Internet publié par l'ART (3).



Les offres de détail d'accès large bande peuvent se limiter au seul accès à Internet ou donner accès à une palette de services multimédia comprenant, outre l'accès à Internet, des services diversifiés tels que la téléphonie, la visiophonie, l'accès télévisuel, la vidéo à la demande, dans le cadre de bouquets multiservices.

Les opérateurs et fournisseurs de services proposent aujourd'hui des offres d'accès large bande avec des déclinaisons adaptées à la clientèle résidentielle et à la clientèle professionnelle. Des services spécifiques sont commercialisés en faveur de cette dernière, notamment en termes de débits (débits élevés et garantis, connexions symétriques), de niveau de qualité de service (temps d'intervention et de rétablissement garanti), de protocoles (IP, ATM, Ethernet).


(1) Source : France Télécom, communiqué du 10 février 2005. (2) Source : ART, observatoire du marché de l'Internet, 3e trimestre 2004. (3) Source : ART, observatoire du marché de l'Internet, 3e trimestre 2004.

I-C-2. Sur le marché de gros


Les offres de gros d'accès large bande sont les offres destinées à des opérateurs, qui leur permettent de proposer sur le marché de détail des offres d'accès large bande telles que définies ci-avant.

Le terme « régional » ne fait pas référence aux territoires des collectivités territoriales régionales.

On entend par « raccordement régional » un raccordement qui ne se limite pas à un seul point national et qui est réalisé au niveau infranational (par exemple : régional, départemental ou infradépartemental).

L'Autorité constate que plusieurs types d'offres de gros d'accès large bande actuellement proposées en France correspondent à cette définition et doivent, donc, être regardées comme des offres régionales, à savoir :

- des offres permettant de prendre livraison des flux haut débit en mode ATM. Les offres correspondantes de France Télécom sont ADSL Connect ATM et Turbo DSL ;

- des offres permettant de prendre livraison des flux haut débit à un niveau régional en mode IP. L'offre correspondante de France Télécom est l'offre IP/ADSL régional.

Plusieurs opérateurs alternatifs construisent des offres similaires à partir du dégroupage.


II. - ANALYSE DE L'AUTORITÉ

QUANT À LA DÉLIMITATION DU MARCHÉ PERTINENT

II-A. - Délimitation du marché

en termes de produits et services

II-A-1. Principes


La délimitation des marchés du point de vue des services repose sur l'analyse de :

- la substituabilité du côté de la demande : deux produits appartiennent à un même marché s'ils sont suffisamment « interchangeables » (4) pour leurs utilisateurs, notamment du point de vue de l'usage qui est fait des produits et services, de leurs caractéristiques, de leur tarification, de leurs conditions de distribution, des coûts de « migration » d'un produit vers l'autre. Afin d'apprécier cette notion d'interchangeabilité, l'analyse doit entre autres prouver que la substitution entre les deux produits est rapide (5) et doit prendre en compte les « coûts d'adaptation » (6) qui en découlent ;

- la substituabilité du côté de l'offre : la substituabilité du côté de l'offre est caractérisée lorsqu'un opérateur qui n'est pas actuellement présent sur un marché donné est susceptible d'y entrer rapidement en réponse à une augmentation du prix des produits qui y sont vendus.

Pour établir l'existence d'une éventuelle substituabilité du côté de la demande ou de l'offre, l'analyse peut impliquer la mise en oeuvre de la méthode dite du « test du monopoleur hypothétique », ainsi que le suggèrent les lignes directrices de la Commission (7). Ce test consiste à étudier les effets qu'aurait sur la demande une augmentation légère mais durable des prix d'un service (5 à 10 % par exemple), de manière à déterminer s'il existe des services considérés comme substituables par les demandeurs vers lesquels ils sont susceptibles de s'orienter. Ce test doit être appliqué jusqu'à ce qu'il puisse être établi qu'une augmentation des prix relatifs à l'intérieur des marchés géographiques et de produits définis ne conduira pas les consommateurs à opter pour des substituts directement disponibles ou à s'adresser à des fournisseurs établis sur d'autres territoires. Ainsi que le mentionnent les lignes directrices, l'utilité essentielle de cet outil réside dans son caractère conceptuel ; sa mise en oeuvre n'implique pas une étude économétrique systématique poussée.

Conformément au point 5 des lignes directrices, l'Autorité se référera aux « principes et [aux] méthodes du droit de la concurrence pour définir les marchés qui devront être soumis à une réglementation ex ante ».


(4) Point 51 des lignes directrices 2002/C 165/03 de la Commission des Communautés européennes du 11 juillet 2002. (5) Point 49 de ces lignes directrices. (6) Point 50 de ces lignes directrices. (7) Point 40 de ces lignes directrices.



II-A-2. Analyse de substituabilité


Afin de délimiter le contour du marché, l'Autorité a étudié le degré de substituabilité entre :

- les offres de gros d'accès large bande DSL et les offres de gros d'accès large bande fondées sur les technologies alternatives ;

- les offres de gros d'accès large bande DSL livrées au niveau régional et les offres de gros d'accès large bande livrées en amont (dégroupage) et en aval (au niveau national) ;

- les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional destinées in fine à la clientèle résidentielle et les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional destinées in fine à la clientèle professionnelle ;

- les différentes offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional, selon l'interface de livraison utilisée.


II-A-2-a. Substituabilité des offres de gros utilisant la technologie DSL

avec les offres de gros utilisant d'autres technologies d'accès

II-A-2-a (i). Le câble


Du coté de l'offre, les câblo-opérateurs, qui ne sont aujourd'hui pas présents sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, devraient pour y entrer en réponse à une augmentation faible mais durable des prix des offres similaires fondées sur la technologie DSL consentir des investissements très importants qui ne sont pas réalisables à l'horizon de cette analyse.

Les câblo-opérateurs n'ont d'ailleurs pas proposé d'offres de gros d'accès large bande par le passé, alors même qu'entre 1999 et 2002, France Télécom commercialisait ses accès large bande sur le marché de gros à un niveau tarifaire sensiblement supérieur aux niveaux actuels.

Ainsi, l'Autorité considère qu'une variation de quelques points de pourcentage des tarifs des offres de gros d'accès large bande n'est pas de nature à susciter l'apparition, à moyen terme, d'offres de gros proposées sur les réseaux câblés.

Par ailleurs, les réseaux câblés, morcelés, couvrent potentiellement 25 % (8) des foyers français en haut débit, alors que l'infrastructure DSL couvre, selon France Télécom (9), 90 % de la population à la fin de l'année 2004.

Du coté de la demande, la substitution d'un produit de gros d'accès large bande DSL par un produit de gros d'accès large bande par câble est difficile, en particulier en raison de la différence sensible en termes de couverture géographique.

Dans sa recommandation susvisée, la Commission recommande aux autorités réglementaires nationales d'inclure dans le marché de gros de l'accès large bande des technologies alternatives au DSL sur paire de cuivre « si et quand elles offrent des ressources équivalentes » (10). En l'espèce, du point de vue du marché de gros, le câble n'offre pas en France de ressources équivalentes au DSL.

L'Autorité estime ainsi que les offres d'accès large bande par câble ne sont pas et ne seront pas substituables aux offres d'accès large bande DSL à l'horizon de l'analyse. Il convient en conséquence de les exclure du périmètre du marché.


II-A-2-a (ii). Les autres technologies d'accès


Des offres d'accès large bande peuvent être proposées par l'intermédiaire du satellite, des technologies hertziennes (boucle locale radio ou WiFi) ou encore des courants porteurs en ligne sur les réseaux électriques.

Sans préjuger de la substituabilité technique entre des offres de gros élaborées à partir de ces technologies d'accès et celles élaborées via la technologie DSL, l'Autorité relève que le nombre d'accès commercialisés à partir de ces technologies sur les marchés de détail représente moins de 1 % des accès haut débit commercialisés en France (11). L'Autorité en conclut que ces technologies n'offrent pas des ressources équivalentes au réseau d'accès cuivre.

Les offres d'accès large bande proposées par le satellite, le WiFi, la boucle locale radio et les courants porteurs en ligne ne sont pas et ne seront pas substituables aux offres d'accès large bande DSL à l'horizon de cette analyse. Une telle substituabilité nécessiterait des investissements élevés, qui par ailleurs ne pourraient être réalisés et avoir un impact significatif sur le marché avant plusieurs années. Ces technologies d'accès doivent en conséquence être exclues du périmètre du marché.

La présente décision portera donc sur les seules offres d'accès large bande DSL.


(8) Source : AFORM, communiqué du 4 mai 2004 : 6,3 M de prises Internet commercialisables rapportées à 25 M de foyers. (9) Communiqué de presse du 13 septembre 2004 de France Télécom. (10) Annexe de la recommandation de la Commission susvisée. (11) Source : ART, observatoire du marché de l'Internet, 3e trimestre 2004.




II-A-2-b. Substituabilité avec le dégroupage de la boucle locale


Un opérateur alternatif qui a recours aux offres d'accès large bande livrées au niveau régional consent des investissements nettement moins importants que s'il fondait ses offres sur le dégroupage de la boucle locale. Pour migrer vers le dégroupage, il doit encourir des coûts d'adaptation correspondant principalement aux investissements nécessaires pour gagner en capillarité en déployant un réseau de collecte qui lui permette de relier l'ensemble des répartiteurs à dégrouper.

L'Autorité estime, au regard des annonces d'investissements publiées par les opérateurs alternatifs, que l'ordre de grandeur des investissements consentis pour ouvrir 300 répartiteurs au dégroupage est de 100 à 150 millions d'euros par opérateur (12). Ce coût fixe se traduit en des coûts par abonné de plus en plus élevés à mesure que les répartiteurs dégroupés sont de petite taille.

Ainsi, l'extension actuelle du dégroupage, qui couvre près de 900 répartiteurs, soit environ 50 % de la population (13) au 1er janvier 2005, montre que cet investissement ne peut être que progressif et n'est à ce jour rentable que pour les plus gros répartiteurs. Si l'on considère des répartiteurs de plus petite taille, la nécessité de réaliser de tels investissements pour un nombre réduit de clients potentiels constitue une barrière structurelle à la réplication des offres d'accès large bande livrées au niveau régional par le dégroupage.

Au vu de ce qui précède, les coûts d'adaptation entre offres d'accès large bande livrées au niveau régional et dégroupage apparaissent comme très élevés. Ces deux offres ne sont donc pas substituables.

L'étude de la substituabilité du côté de l'offre reste très théorique, et peu pertinente, dans la mesure où seul France Télécom peut proposer une offre de dégroupage.

Au terme de cette analyse, l'Autorité constate que les offres de dégroupage, d'une part, et les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional, d'autre part, n'appartiennent pas au même marché.


(12) Source : annonces des opérateurs, notamment communiqués de presse de Iliad (10 mars et 16 juillet 2004), Cegetel (8 janvier 2004), 9Telecom (3 mai 2004). (13) Source : tableau de bord du dégroupage, www.art-telecom.fr, 15 janvier 2004.

II-A-2-c. Substituabilité avec les offres de gros

d'accès large bande livrées au niveau national


Si elle constate actuellement une certaine substituabilité du côté de la demande entre les offres livrées au niveau national et les offres livrées au niveau régional, l'Autorité considère que cette substituabilité est très partielle. D'une part, la problématique n'est pertinente que pour des opérateurs de réseaux et, d'autre part, seule la substituabilité d'une offre nationale par une offre régionale est pertinente. Ainsi la substituabilité du côté de la demande des acteurs sur le marché de gros revêt un caractère à la fois partiel et asymétrique.

En effet, si en Ile-de-France l'identité des points de collecte entre offres livrées au niveau régional et offres livrées au niveau national conduit les opérateurs à effectuer un simple arbitrage tarifaire entre les deux types d'offres, il convient, pour le reste du territoire national, de distinguer la situation des opérateurs ayant déployé un réseau à l'échelle nationale de celle des fournisseurs d'accès à Internet ne disposant pas de réseau.


II-A-2-c (i). Situation des fournisseurs d'accès à Internet


Pour ces acteurs, les coûts de migration d'une offre livrée au niveau national vers une offre livrée au niveau régional correspondent aux investissements que doit consentir un opérateur pour déployer un réseau à l'échelle nationale (reliant a minima une vingtaine de points). Ce déploiement se traduit essentiellement par du génie civil ou de la location de fibre. L'Autorité estime que le montant des investissements correspondants est compris entre 150 et 300 millions d'euros.

L'Autorité en déduit qu'une augmentation faible mais durable du prix des offres de gros livrées au niveau national ne serait pas suffisamment dissuasive pour modifier la stratégie d'un fournisseur d'accès à Internet qui n'aurait jusqu'alors pas déployé son propre réseau. De ce point de vue, les deux offres ne sont donc pas substituables.


II-A-2-c (ii). Situation des opérateurs disposant d'un réseau

suffisamment capillaire : une substituabilité asymétrique


Pour ces acteurs, qui ont déjà déployé un réseau de dimension nationale, les coûts de substitution d'une offre livrée au niveau national par une offre livrée au niveau régional sont peu élevés et le choix entre ces deux offres peut résulter principalement d'un arbitrage tarifaire. Ainsi, depuis le début de l'année 2004, le nombre de substitutions d'une offre livrée au niveau national par une offre livrée au niveau régional croît de manière significative : plusieurs centaines de milliers d'accès qui étaient livrés au niveau national en début d'année ont été concernés. Cette tendance résulte de la récente amélioration des conditions techniques, tarifaires et opérationnelles de l'offre ADSL Connect ATM de France Télécom et de l'introduction en février 2004 de l'offre IP/ADSL régionale de France Télécom.

Dans la mesure où des offres suffisamment attractives existent sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, l'Autorité estime que les opérateurs sont fortement incités à avoir recours à ce type d'offres. D'une part, les offres collectées au niveau régional par les opérateurs leur permettent d'utiliser les infrastructures qu'ils détiennent en propre et de la sorte de rentabiliser leurs investissements. D'autre part, la collecte au niveau régional est de nature à éviter une concentration du trafic en un unique point national.



A l'inverse, aucun opérateur ne procède à la substitution d'une offre livrée au niveau régional par une offre livrée au niveau national et une telle substitution est peu probable à l'horizon de cette analyse. En effet, un opérateur qui désirerait ne pas utiliser son réseau propre une fois celui-ci déployé et raccordé aux points régionaux de France Télécom supporterait un coût d'opportunité élevé à ne pas l'utiliser et à se fournir à travers l'offre, plus chère, livrée au niveau national d'un autre opérateur, dans la mesure où le coût marginal du mégabit collecté sur un réseau déjà déployé est faible.

L'Autorité relève ainsi que, pour les opérateurs disposant d'un réseau suffisamment capillaire, la substituabilité entre offres livrées au niveau régional et offres livrées au niveau national est asymétrique.

En outre, il convient de souligner que les offres livrées au niveau régional permettent aux opérateurs alternatifs de proposer des offres différenciées, notamment de voix, sur le marché de détail, contrairement aux offres livrées au niveau national, destinées à être revendues par un fournisseur d'accès à Internet.

Ainsi, la substitution observée actuellement entre les offres livrées au niveau national et les offres livrées au niveau régional est, d'une part, limitée intrinsèquement à une partie des acheteurs de l'offre nationale et, d'autre part, cette substitution est asymétrique, de l'offre nationale vers l'offre régionale. Enfin, les deux offres nationales et régionales ne présentent pas les mêmes fonctionnalités pour les opérateurs. L'offre régionale est plus attractive, puisqu'elle confère aux opérateurs y ayant recours une marge de manoeuvre supérieure dans la formulation d'offres différenciées sur le marché de détail.

L'Autorité en conclut que ces deux types d'offres ne présentent pas un degré de substituabilité suffisant pour être intégrés dans le même marché.


II-A-2-d. Clientèle résidentielle et clientèle professionnelle


Les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional permettant de desservir, sur le marché de détail, la clientèle résidentielle et celles permettant de desservir la clientèle professionnelle sont très proches sur les plans technique et structurel. Les réseaux et les équipements techniques impliqués sont principalement les mêmes, la différenciation s'effectuant au moyen de paramétrages techniques propres aux besoins des clients professionnels : accès symétrique, débit garanti, qualité de service accrue, garantie de temps de rétablissement. S'ils ont un impact à la hausse sur les coûts d'exploitation des accès, ces paramétrages techniques n'induisent pas de fortes dépenses d'investissement de la part de l'opérateur.

La commercialisation d'offres de gros destinées in fine au marché professionnel peut donc se faire à coût marginal dès lors qu'une offre à destination du marché résidentiel est disponible, et réciproquement. Ces deux prestations bénéficient donc l'une et l'autre d'économies d'envergure substantielles.

Ainsi, du côté de l'offre, il existe une forte substituabilité entre les offres destinées aux clientèles résidentielle et professionnelle.

Du point de vue de la demande sur le marché de détail, il s'établit un continuum de la demande résidentielle vers la demande professionnelle. Les besoins des petites et moyennes entreprises sont généralement plus proches de ceux des résidentiels que de ceux des très grandes entreprises. Ainsi, les clients résidentiels vont utiliser des offres à débit non garanti de 128 kbit/s à quelques Mbit/s avec une garantie de temps de rétablissement (ou GTR) standard de 48 heures. Les petites entreprises peuvent se satisfaire de débits similaires mais souhaiter une GTR plus courte, de 4 heures par exemple, alors que les plus grandes entreprises souhaiteront des débits garantis et une GTR de 4 heures. Du point de vue de la demande sur le marché de gros, les opérateurs répercutent ces spécificités auprès de leur fournisseur : il en résulte donc un même continuum, en termes de débit et en termes de qualité de service, directement dérivé de celui observé sur le marché de détail.

En outre, la collecte par les opérateurs alternatifs des trafics issus des offres professionnelle et résidentielle s'opère à partir des mêmes points de raccordement et sur le même réseau.

Les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional destinées à une clientèle professionnelle et celles destinées à une clientèle résidentielle présentent ainsi un degré de substituabilité élevé du côté de l'offre et un degré de substituabilité significatif du coté de la demande.

L'Autorité considère donc que ces deux offres appartiennent au même marché.


II-A-2-e. Interfaces de livraison


L'Autorité constate qu'il existe à ce jour deux interfaces principalement utilisées pour la livraison d'accès large bande au niveau régional. Il s'agit, d'une part, de la livraison en ATM, qui a initialement été mise en place pour permettre l'élaboration d'offres sur le marché professionnel et, d'autre part, de la livraison en IP, que ses caractéristiques techniques rendent plutôt adaptée à l'élaboration d'offres sur le marché résidentiel. À ce jour, les opérateurs s'adressant au marché résidentiel se fondent toutefois aussi bien sur des offres d'accès livrées en ATM ou en IP.

Le respect du principe de neutralité technologique est défini comme un objectif de régulation en vertu du 13° du II de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques. Les choix technologiques font partie intégrante de l'efficacité des opérateurs et donc de leur capacité à conquérir de nouveaux clients. Afin de respecter ce principe, il convient d'inclure dans le même marché l'ensemble des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional quelles que soient les interfaces de livraison mises en oeuvre et, en particulier, les interfaces les plus couramment utilisées à ce jour, à savoir IP et ATM.


II-B. - Délimitation géographique du marché

II-B-1. Principe


Il est rappelé au point 56 des lignes directrices susvisées que, « selon une jurisprudence constante, le marché géographique pertinent peut être défini comme le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans la fourniture ou la demande des produits ou services pertinents, où elles sont exposées à des conditions de concurrence similaires ou suffisamment homogènes et qui se distingue des territoires voisins sur lesquels les conditions de concurrence sont sensiblement différentes ».



La Commission précise au point 59 des lignes directrices susvisées que dans le secteur des communications électroniques, la portée géographique du marché pertinent est traditionnellement déterminée par référence à deux critères principaux qui permettent de procéder à la délimitation géographique des marchés de communications électroniques : le territoire couvert par les réseaux, d'une part, et l'existence d'instruments de nature juridique conduisant à distinguer telle ou telle zone géographique ou, au contraire, à considérer que le marché est de dimension nationale, d'autre part.

Par ailleurs, cette analyse doit être menée dans une approche prospective. S'agissant des marchés de gros sous-jacents aux services de communications électroniques fixes, le critère de substituabilité du côté de la demande est peu pertinent pour déterminer l'étendue géographique d'un marché : un opérateur cherchant à acheter un produit de gros pour desservir un client donné situé dans une zone géographique donnée ne peut acheter un produit de gros dont l'accès est situé sur une zone géographique distincte. Il choisira plutôt d'acheter une offre de gros à un niveau supérieur, en l'espèce une offre livrée au niveau national si sa demande n'est pas satisfaite pour une livraison au niveau régional dans une zone donnée.

Ainsi, c'est le critère de substituabilité du côté de l'offre qui primera dans l'analyse. Plus précisément, en se référant aux lignes directrices de la Commission, il conviendra de déterminer si des opérateurs qui ne sont pas encore présents sur une zone géographique donnée, mais le sont sur une autre zone géographique, feront le choix d'y entrer à court terme en cas d'augmentation des prix relatifs. Dans ce cas, la définition du marché doit être étendue à la zone sur laquelle sont présents ces opérateurs.


II-B-2. Cas particulier de Saint-Pierre-et-Miquelon


L'Autorité constate que France Télécom, opérateur historique, possède et opère un réseau d'accès cuivre en situation de quasi-monopole, détenant plus de 99 % des paires de cuivre en France, et qui couvre l'intégralité des territoires de la métropole, des départements d'outre-mer et de Mayotte, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ainsi, les conditions de concurrence apparaissent comme parfaitement homogènes sur ce marché à l'échelle nationale, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Saint-Pierre-et-Miquelon est une collectivité territoriale d'outre-mer de la République française. La réglementation communautaire n'y est pas applicable, mais elle entre dans le périmètre couvert par le code des postes et des communications électroniques.

L'Autorité note que sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, la boucle locale est possédée par SPM Télécom, filiale du groupe France Télécom.

Tenant compte de la jurisprudence communautaire qui se réfère notamment au territoire couvert par un réseau pour délimiter la dimension géographique des marchés pertinents, l'Autorité distingue deux zones géographiques : d'une part le territoire composé de la métropole, des départements d'outre-mer et de Mayotte, d'autre part Saint-Pierre-et-Miquelon.

La présente décision traite par défaut de la zone géographique correspondant au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte. Le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon sera traité dans une décision ultérieure de l'Autorité.


II-B-3. Le déploiement et l'extension des réseaux


Si l'on considère le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, trois ensembles géographiques peuvent être mis en évidence :

- une zone où plusieurs opérateurs sont en mesure de proposer des offres, et qui correspond aux zones dégroupées ;

- une zone où seule France Télécom est en mesure de proposer des offres ;

- une zone où aucun opérateur ne propose d'offres DSL.

Chacune de ces zones est très morcelée sur le territoire : une « zone » n'est pas une surface connexe mais l'union de multiples poches. Pour prendre l'exemple du dégroupage, elle correspond actuellement à environ 130 agglomérations (14).

Dans une approche dynamique, les frontières de ces zones ne sont pas fixes. Pour une agglomération donnée, le déploiement du DSL s'effectue ainsi progressivement depuis le centre-ville vers la proche banlieue. De même, de nouvelles agglomérations sont au fur et à mesure ouvertes au DSL, correspondant à de nouvelles « poches » disjointes des premières.

De manière générale, France Télécom ainsi que les opérateurs alternatifs ayant recours au dégroupage poursuivent une stratégie d'expansion tendant à une couverture maximale du territoire national, même si leurs investissements dans le DSL ne peuvent être que progressifs. Si l'on résume les zones respectives de couverture DSL de France Télécom et du dégroupage au pourcentage de la population auquel elles correspondent, leur périmètre sur les quatre dernières années a été le suivant :



Vous pouvez consulter le tableau dans le JO

n° 144 du 22/06/2005 texte numéro 45



L'évolution de ces zones dans les mois et les années à venir, et à tout le moins à l'horizon de l'analyse, est encore très incertaine.

Concernant tout d'abord la couverture ADSL de France Télécom, cette dernière a annoncé être en mesure de couvrir 90 % de la population fin 2004, 96 % de la population fin 2005 et souhaite équiper en DSL l'ensemble de ses répartiteurs dans le courant de l'année 2006.

Concernant par ailleurs le déploiement du dégroupage, aucune annonce officielle n'a été à ce jour effectuée par les opérateurs.



On peut anticiper que le dégroupage restera limité à une zone moins étendue que le réseau DSL de France Télécom, à horizon de l'analyse. En effet, le dégroupage présente plusieurs années de retard sur le déploiement DSL de France Télécom. En outre, pour étendre le dégroupage, les opérateurs doivent consentir des investissements lourds et nécessairement très progressifs. Enfin, sur les plus petits sites, les effets d'échelle sont trop réduits pour un opérateur alternatif pour assurer la rentabilité des investissements correspondants.

Au-delà de ce constat, la définition d'une frontière précise et pérenne aux zones dégroupées, valable à l'horizon de l'analyse, n'est pas réalisable.

En effet, le dégroupage s'étend progressivement, répartiteur par répartiteur. Le choix que font les opérateurs d'étendre leur couverture à un répartiteur supplémentaire se fonde sur trois principaux facteurs :

- la clientèle potentielle attachée à ce répartiteur, et donc sa taille, en nombre de lignes ;

- le coût de raccordement de ce répartiteur, et donc sa distance au réseau de l'opérateur ;

- le coût d'équipement de ce répartiteur, et donc notamment le niveau des tarifs de l'offre de France Télécom pour les prestations liées au dégroupage.

En parallèle, l'intervention des collectivités territoriales dans le paysage du haut débit pourrait contribuer à moyen terme à soutenir l'expansion des poches de dégroupage, en particulier dans des zones moins denses que celles qui sont naturellement servies dans un premier temps par les opérateurs. Le déploiement du dégroupage pourrait donc aussi se faire sur la période d'analyse selon de nouveaux critères, tout un département par exemple pouvant être couvert en dégroupage, suite à l'intervention des collectivités locales, et ce sans considération de taille ou de distance des répartiteurs aux réseaux des opérateurs.

Etant donné la multiplicité des facteurs entrant en ligne de compte, le degré de détail de l'analyse géographique menée par chaque opérateur dans sa politique d'extension, la nouveauté représentée par l'intervention des collectivités territoriales et le caractère très morcelé des zones de dégroupage, il n'apparaît pas réaliste d'anticiper d'ores et déjà une frontière du dégroupage, qui serait valable et pertinente sur toute la période d'analyse.

Ainsi, le critère de développement des réseaux, du fait de son évolutivité rapide et de la nécessaire approche prospective que doit revêtir la délimitation du marché, ne permet pas de déterminer à ce stade une éventuelle partition du territoire national en deux ou plusieurs sous-marchés distincts, valide à l'horizon de l'analyse pour la régulation ex ante. Si cette situation devait évoluer, l'Autorité serait fondée à réexaminer la définition du présent marché, conformément aux dispositions de l'article D. 301 du code.

L'Autorité estime donc que le périmètre géographique du marché de gros de l'accès large bande régional correspond au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte.


(14) Source : tableau de bord du dégroupage, ART, 15 janvier 2005.

II-C. - Pertinence du marché

au regard de la régulation sectorielle


L'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques dispose que l'Autorité doit définir les marchés, « au regard notamment des obstacles au développement d'une concurrence effective ».

Ainsi, pour qualifier un marché de pertinent au regard de la régulation sectorielle, il convient de mener une analyse concurrentielle de ce marché.

Le marché de gros des offres d'accès large bande a fait l'objet d'une analyse par la Commission européenne, dans sa recommandation sur les marchés pertinents. Elle a estimé que ce marché remplissait les trois critères qu'elle a définis (présence de barrières à l'entrée, absence de perspective de développement de la concurrence, insuffisance du droit de la concurrence) et que de ce fait ce marché était pertinent pour la régulation ex ante (15).

La nécessité de réguler ex ante ce marché est justifiée au regard de plusieurs caractéristiques structurelles du marché.

Tout d'abord, il est fondé en amont sur une infrastructure qualifiée d'« essentielle » par le Conseil de la concurrence (16) : la boucle locale.

De ce fait, les mécanismes d'entrée sur ce marché sont limités : hormis le cas de l'opérateur possédant ce réseau de boucle locale, l'entrée en tant qu'offreur sur le marché régional n'est possible pour un opérateur que si, d'une part, il lui est donné accès à cette infrastructure essentielle de boucle locale et si, d'autre part, il déploie un réseau suffisamment capillaire pour rendre effective cette possibilité partout sur le territoire.

Ainsi, malgré l'obligation réglementaire pesant sur France Télécom, propriétaire du réseau de boucle locale, d'ouvrir son réseau local au dégroupage, les barrières à l'entrée sur le marché de gros des offres régionales restent très élevées. Elles sont dues au montant très élevé des investissements que suppose le dégroupage, de l'ordre de plusieurs centaines de milliers d'euros par répartiteur, le réseau en comptant 12 000 en France. Elle sont aussi dues au caractère nécessairement très progressif de ce déploiement, qui ne peut s'effectuer à très grande échelle que sur plusieurs années. Enfin, elles sont renforcées par le poids des économies d'échelle qui confèrent un avantage certain en terme de coût au plus gros opérateur. En outre, l'intégration verticale des acteurs de ces marchés, et notamment la présence de l'opérateur possédant le réseau de boucle locale sur le marché de gros des offres régionales et sur les marchés de détail aval, rend plus difficile l'entrée sur ce marché de gros intermédiaire en l'absence de régulation ex ante.

L'ensemble de ces motifs conduisent à estimer que les perspectives de développement de la concurrence sont limitées sur ce marché, à l'horizon de la présente analyse, ainsi que cela sera développé plus avant dans la partie III « Analyse de l'Autorité quant à la désignation d'un opérateur disposant d'une influence significative sur le marché ».

Enfin, il apparaît que le droit de la concurrence ne peut encore suffire pour remédier aux problèmes de concurrence intrinsèques à ce marché. Notamment, l'entrée d'opérateurs alternatifs sur ce marché est conditionnée au maintien sur un terme long d'espaces économiques suffisants entre les différentes offres de gros de la chaîne de valeur du haut débit. Ce maintien est assuré par une intervention ex ante sur les tarifs de gros, outil dont ne dispose pas le Conseil de la concurrence. De plus, le régulateur sectoriel dispose d'instruments servant des objectifs différents de celui de l'autorité de concurrence, notamment en ce qui concerne l'incitation à l'investissement des opérateurs dans les infrastructures. Enfin, le régulateur sectoriel assure un suivi continu du marché, et peut mettre en place de façon ex ante des dispositifs de séparation comptable et d'audit des coûts, selon une méthodologie spécifique adaptée au marché des communications électroniques, nécessaire au suivi et au contrôle des obligations tarifaires pesant sur l'opérateur régulé.

Pour l'ensemble de ces raisons, l'Autorité considère que le marché tel que défini dans l'analyse présentée ci-dessus doit être déclaré pertinent au titre de la régulation sectorielle des communications électroniques, à ce stade indispensable pour favoriser le développement de la concurrence et l'investissement des opérateurs dans les infrastructures.


(15) Pages 12, 13 et 27 de l'exposé des motifs de la recommandation de la Commission sur les marchés pertinents susvisée. (16) Avis du 8 janvier 2004 relatif à une demande d'avis de l'Association française des réseaux et services de télécommunications (AFORS) sur les principes généraux des relations contractuelles entre les utilisateurs et les différents acteurs du dégroupage et avis no 2005-A-03 susvisé.



II-D. - Conclusion


Au vu de l'analyse qui précède, l'Autorité exclut du périmètre du marché les offres suivantes :

- les offres d'accès large bande proposées par le câble ou les autres technologies d'accès alternatives au DSL ;

- les offres d'accès à la boucle locale ; et

- les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national.

Par ailleurs, l'Autorité considère que les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional destinées à fournir in fine des services pour les clients résidentiels et les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional destinées à fournir in fine des services pour les professionnels appartiennent au même marché, sans que n'ait à être précisée a priori leur interface de livraison. Notamment, les offres livrées en ATM et en IP sont incluses dans ce marché.

Enfin, l'Autorité considère que le périmètre géographique du marché correspond au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte.

L'Autorité estime donc pertinent le marché de gros des offres d'accès large bande par DSL livrées au niveau régional, indépendamment du type de clientèle visée et de l'interface de livraison utilisée. Le périmètre géographique du marché correspond au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte.

Le marché ainsi défini correspond au marché de la fourniture en gros d'accès à large bande numéro 12 de la recommandation de la Commission européenne sur les marchés pertinents.


III. - ANALYSE DE L'AUTORITÉ QUANT À LA DÉSIGNATION D'UN OPÉRATEUR

DISPOSANT D'UNE INFLUENCE SIGNIFICATIVE

III-A. - Principes généraux relatifs à la détermination des conditions

caractérisant une situation d'influence significative sur un marché


Il résulte de l'article 14 de la directive « cadre » et du point 5 des lignes directrices publiées par la Commission que les autorités réglementaires nationales ne doivent intervenir pour imposer des obligations aux entreprises que dans la mesure où elles considèrent que les marchés envisagés ne sont pas en situation de concurrence réelle, essentiellement en raison du fait que ces entreprises ont acquis « une position équivalente à une position dominante » au sens de l'article 82 du traité CE.

En droit interne, l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques dispose que « est réputé exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques tout opérateur qui, pris individuellement ou conjointement avec d'autres, se trouve dans une position équivalente à une position dominante lui permettant de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs ». Pour évaluer l'existence d'une influence significative, l'Autorité doit, conformément aux dispositions de l'article D. 302 du code des postes et des communications électroniques, tenir le plus grand compte des lignes directrices adoptées par la Commission.

Il est précisé au point 5 des lignes directrices que la Commission et les autorités réglementaires nationales doivent « se fonder sur les principes et les méthodes du droit de la concurrence pour définir les marchés qui devront être soumis à une réglementation ex ante et apprécier le puissance des entreprises sur ces marchés ».

Ainsi, l'Autorité relève que la part de marché d'une entreprise constitue un critère essentiel, bien que non exclusif, de l'évaluation de la puissance d'un acteur. Notamment, d'après une jurisprudence constante (17), la présence de parts de marchés très élevées - supérieures à 50 % - suffit, sauf circonstances exceptionnelles, à établir l'existence d'une position dominante. Par ailleurs, l'évolution des parts de marchés de l'entreprise et de ses concurrents sur une période de temps appropriée constitue un critère supplémentaire en vue d'établir l'influence significative d'un opérateur donné.

En outre, il est rappelé au point 78 des lignes directrices susmentionnées que « l'existence d'une position dominante ne saurait être établie sur le seul fait qu'une entreprise détient d'importantes parts de marché ». L'Autorité pourra ainsi tenir compte dans son analyse de plusieurs critères complémentaires d'ordre qualitatif, comme :

- la taille de l'entreprise ;

- le contrôle d'une infrastructure qu'il n'est pas facile de dupliquer ;

- les avancées ou la supériorité technologiques ;

- l'absence ou la faible présence de contre-pouvoir des acheteurs ;

- la diversification des produits ou des services ;

- l'intégration verticale de l'entreprise ;

- la présence d'économies de gamme ou d'échelle ;

- l'absence de concurrence potentielle ;

- d'autres critères tels que l'accès privilégié aux marchés des capitaux.


(17) Point 75 des lignes directrices.



III-B. - Analyse de l'Autorité


Deux types d'indicateurs, quantitatifs et qualitatifs, permettent de caractériser l'état de la concurrence et d'évaluer l'influence exercée par les différents acteurs positionnés sur le marché analysé.


III-B-1. Indicateurs quantitatifs


L'ensemble des accès large bande DSL produits par les opérateurs est destiné à être commercialisé in fine sur les marchés de détail, résidentiel et professionnel. Pour cela, quel que soit l'opérateur, la chaîne de valeur du haut débit est constituée de la boucle locale, équipée pour l'ADSL, à laquelle s'ajoutent plusieurs composantes :

- une prestation de collecte depuis le DSLAM jusqu'à un niveau régional ;

- une prestation de collecte depuis un niveau régional jusqu'à un point national ;

- dans le cas où la prestation fournie est l'accès à Internet, une prestation de connectivité Internet.

Un accès large bande DSL produit par un opérateur donné, à savoir l'opérateur qui possède la boucle locale ou un opérateur ayant recours au dégroupage, peut être vendu sur le marché de détail par ce même opérateur, qui contrôle alors le produit de bout en bout, ou bien cédé à un autre opérateur ou fournisseur d'accès à Internet à un niveau intermédiaire de la chaîne de valeur (régional ou national).

Dans le cadre de la présente décision, l'Autorité relève que chaque opérateur, historique ou alternatif, peut produire deux types d'accès large bande DSL :

- des accès DSL cédés au niveau régional à un opérateur tiers, qui complétera l'accès régional avec ses propres prestations complémentaires pour proposer des offres intégrées sur les marchés avals (marché des offres nationales ou marchés de détail) ;

- des accès DSL qui ne donneront lieu à aucune transaction marchande au niveau régional et qui constituent sa production interne.

Conformément à l'avis no 2005-A-03 du Conseil de la concurrence susvisé, s'appuyant sur une jurisprudence constante, il convient de ne pas retenir la production interne d'une entreprise dans l'évaluation de sa part de marché. Par conséquent, il convient de calculer stricto sensu les parts de marché des entreprises avant d'étudier lors de l'analyse des critères qualitatifs les effets éventuels de la production interne de ces entreprises.

Dans cette perspective, l'évaluation de la part de marché des acteurs positionnés sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional doit considérer deux types d'accès :

- les accès DSL produits par France Télécom et livrés au niveau régional à un opérateur ou à un fournisseur d'accès à Internet alternatif ; et

- les accès DSL produits par les opérateurs dégroupeurs et livrés au niveau régional à un opérateur ou à un fournisseur d'accès à Internet tiers.

Au 1er janvier 2005, l'Autorité estime que France Télécom détenait 93 % de part du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional sur le segment résidentiel et les 7 % du marché détenus par ses concurrents correspondaient à des accès construits au moyen du dégroupage. La part de marché de France Télécom était de 100 % en janvier 2004.

Les offres régionales concurrentes de celles de l'opérateur historique ne peuvent être produites que sur la base du dégroupage, si bien qu'en zone non dégroupées, concernant environ 50 % de la population, France Télécom demeure l'unique offreur.

En zones dégroupées, les opérateurs disposant d'un réseau ont principalement recours au dégroupage et ils revendent presque exclusivement aux FAI sans réseau des offres livrées au niveau national. Ainsi, le marché concurrentiel pour les offres régionales est limité.

Pour ces raisons, il est très peu probable que les accès régionaux produits par des opérateurs alternatifs et commercialisés sur le marché libre représentent, dans un avenir proche ou à l'horizon 2007-début 2008, plus de 50 % du marché.

Il apparaît donc que France Télécom détiendrait encore à l'horizon de la présente analyse une part de marché significative.



III-B-2. Critères qualitatifs


Le calcul des parts de marché n'est pas suffisant pour évaluer la situation concurrentielle du marché. Il est en effet utile de compléter cette mesure chiffrée par une analyse approfondie des caractéristiques économiques du marché pertinent, avant de conclure à l'exercice par un opérateur d'une influence significative sur le marché.

Dans l'analyse qui suit, l'Autorité a retenu, parmi les critères qualitatifs évoqués par la Commission européenne dans ses lignes directrices sur l'analyse des marchés, ceux qu'elle estime être les plus pertinents pour la désignation de l'opérateur puissant dans le cas particulier du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional.


III-B-2-a. La taille de l'entreprise et le contrôle

d'une infrastructure qu'il n'est pas facile de dupliquer


Au 1er janvier 2005, on estime que plus de 6 000 répartiteurs ont été équipés de DSLAM par France Télécom. L'opérateur historique déclare couvrir potentiellement près de 90 % de la population en ADSL (18).

Les opérateurs alternatifs quant à eux proposent des offres d'accès large bande livrées au niveau régional en se fondant sur le dégroupage. Ces offres sont de fait limitées, d'un point de vue géographique, aux zones dégroupées. Au 1er janvier 2005, près de 900 répartiteurs ont été livrés par France Télécom aux opérateurs alternatifs, leur permettant ainsi de couvrir environ 50 % de la population métropolitaine.

France Télécom détient donc à ce jour une position unique et incontournable sur le marché du haut débit en raison de l'étendue de sa couverture géographique.

En suivant une approche plus prospective, on peut estimer que France Télécom bénéficie d'une avance de plus de trois ans sur les opérateurs alternatifs dans le déploiement d'un réseau ADSL d'envergure nationale, comme le montre le tableau en page 13 de la présente décision.

France Télécom a en outre annoncé être en mesure de couvrir 96 % de la population fin 2005 et aura équipé en DSL l'ensemble de ses répartiteurs dans le courant de l'année 2006. L'évolution des zones dégroupées dans les mois et les années à venir, et à tout le moins à l'horizon de l'analyse, reste quant à elle encore incertaine.

L'extension du dégroupage est en effet longue et coûteuse. Chaque nouveau répartiteur doit être aménagé pour héberger les équipements spécifiques. S'agissant des coûts de collecte, un opérateur alternatif ayant recours au dégroupage doit consentir des investissements correspondant au déploiement d'infrastructures suffisamment capillaires pour atteindre les répartiteurs dégroupés.

Ces coûts fixes sont assez largement indépendants de la taille du répartiteur dégroupé, dans la mesure où le génie civil mis en oeuvre pour étendre le réseau vers un répartiteur, en tant qu'il représente le principal inducteur de coût, ne dépend pas de la taille du répartiteur. L'Autorité estime ainsi qu'un opérateur alternatif qui souhaite dégrouper 300 répartiteurs doit investir globalement entre 100 et 150 millions d'euros.

Or l'observation de la taille des répartiteurs montre que l'extension de couverture obtenue par l'ouverture de 300 répartiteurs supplémentaires au dégroupage est de plus en plus réduite. A titre d'illustration, les 900 premiers répartiteurs couvrent près de la moitié de la population, soit autant que les 11 100 répartiteurs suivants.

Dans ces conditions, un opérateur alternatif qui souhaite étendre sa zone de dégroupage est amené à dégrouper des répartiteurs de plus en plus petits, et donc à amortir des coûts fixes sur un nombre de plus en plus réduit de clients. Le coût par abonné du dégroupage croît donc fortement avec l'extension géographique du dégroupage.

Ainsi, l'extension de la couverture d'un opérateur par le dégroupage est de moins en moins rentable. Il existe de ce fait probablement une limite structurelle à la rentabilité, et par voie de conséquence à l'extension du dégroupage.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que la couverture géographique du réseau DSL de France Télécom rend l'opérateur actuellement incontournable sur près de la moitié de la population. En outre, cette infrastructure DSL apparaît, à l'horizon de l'analyse, difficilement duplicable par un opérateur alternatif ayant recours au dégroupage.

L'Autorité rappelle par ailleurs que la boucle locale de cuivre a été qualifiée de facilité essentielle par le Conseil de la concurrence à de nombreuses reprises (cf. avis no 2004-A-01 du 8 janvier 2004 relatif à une demande d'avis de l'AFORS sur les principes généraux des relations contractuelles entre les utilisateurs et les différents acteurs du dégroupage, ou encore l'avis no 2005-A-03 du 31 janvier 2005 susvisé).


(18) Source : communiqué de presse de France Télécom du 10 février 2005.

III-B-2-b. L'intégration verticale de France Télécom

et l'existence d'économies d'échelle


France Télécom est présente sur l'ensemble de la chaîne de valeur du haut débit, à savoir les marchés de gros du dégroupage de la boucle locale, des offres d'accès large bande livrées aux niveaux régional et national, mais aussi les marchés de détail. Cette situation a été renforcée par la réintégration récente de la filiale Wanadoo au sein de la maison mère. Au niveau régional, une part significative des accès large bande est produite par France Télécom pour être commercialisée par ses propres services ou filiales sur les marchés de détail.



S'il ressort traditionnellement de la jurisprudence des autorités de concurrence en matière de concentration (19) que la production interne ne doit pas être prise en compte dans la définition du marché pertinent, lequel doit être limité aux échanges effectifs sur le marché libre, cette production ne saurait cependant être ignorée lors de l'analyse concurrentielle, en particulier lorsqu'une entreprise offre des prestations à la fois pour répondre à ses propres besoins et pour satisfaire ceux d'entités économiques distinctes.

En effet, dans cette hypothèse, les prestations que l'entreprise se fournit à elle-même peuvent constituer un levier lui permettant d'exercer une pression concurrentielle sur les prix pratiqués sur le marché.

Ainsi, sans conclure à la nécessité de prendre en compte la production interne pour définir le marché et calculer la part de marché pour les biens et les services intermédiaires, la Commission précise dans ses lignes directrices du 13 octobre 2000 relatives aux restrictions verticales (20) que « la production interne, c'est-à-dire la fabrication par une entreprise d'un bien intermédiaire aux fins de sa propre production, peut revêtir une très grande importance dans une analyse de la concurrence en tant que contrainte concurrentielle ou en tant que facteur qui renforce la position d'une entreprise sur le marché ».

En l'espèce, la production d'accès haut débit étant régie par une économie de coûts fixes, le volume global d'accès destinés au marché intermédiaire et au marché de détail produits par un même opérateur est une source d'économies d'échelle substantielles.

Par le biais de ces économies d'échelles, le volume d'accès produits par un opérateur pour être commercialisés en propre sur le marché de détail a un impact direct sur les coûts de production des accès large bande vendus par ce même opérateur sur le marché de gros.

Au regard de l'importance du nombre d'accès cédés en interne par rapport au nombre total d'accès produits sur les marchés du haut débit, cet effet apparaît comme particulièrement structurant sur le marché de gros des offres régionales. Ainsi, sur les accès large bande produits en France au 1er janvier 2005, seuls 20 % étaient échangés sur le marché de gros des offres régionales, les autres étant commercialisés sur des marchés avals.

L'Autorité considère que ces économies d'échelle confèrent aux opérateurs intégrés ayant une forte production interne, un avantage substantiel en termes de coûts par rapport à ceux de leurs concurrents qui ne sont pas intégrés ou dont la production interne est moins importante.

Cet élément caractéristique du positionnement d'un opérateur sur le marché de gros des offres régionales n'est pas mesuré par le seul calcul des parts de marché portant sur les échanges constatés. Etant donné qu'au niveau régional France Télécom utilise pour elle-même, c'est-à-dire pour Wanadoo ou pour la production d'accès large bande livrés au niveau national, près de 80 % des accès qu'elle produit, la production interne liée à l'intégration verticale de France Télécom joue un rôle essentiel en permettant de diminuer les coûts de production des accès large bande vendus par France Télécom sur le marché de gros.

En outre, l'existence de débouchés captifs et à grande échelle permettrait à France Télécom, en l'absence de régulation ex ante, de se comporter dans une certaine mesure de façon indépendante de la demande exprimée par les opérateurs concurrents sur le marché de gros.

Enfin, en raison de son intégration verticale et de sa présence en amont du marché considéré, France Télécom est en mesure d'économiser les coûts de transaction que supportent en revanche les autres opérateurs qui s'appuient sur le dégroupage pour produire des offres régionales.

En conclusion, l'intégration verticale de France Télécom en amont et en aval du marché, l'importance de sa production interne et de ses économies d'échelle renforcent sa capacité à se comporter, en l'absence de régulation, indépendamment de ses clients et de ses concurrents sur le marché de gros.


(19) Décision de la Commission du 28 avril 1992 Accor/Wagons-Lits (affaire IV/M126) ; décision de la Commission du 11 juillet 2001 BASF/Eurodiol/Pantochim (affaire COMP/M.2314). (20) Communication de la Commission - Lignes directrices sur les restrictions verticales en date du 13 octobre 2000 (2000/C 291/01).

III-B-2-c. L'absence de concurrence potentielle


Ainsi que cela a été précédemment exposé, les opérateurs dégroupeurs ne bénéficient pas, à l'heure actuelle, de la même couverture géographique que France Télécom.

Au-delà des zones dégroupées, la concurrence à laquelle est potentiellement confrontée France Télécom est très limitée. En effet, si l'émergence d'une concurrence par le dégroupage est susceptible d'intervenir sur une partie des répartiteurs non encore ouverts, elle reste longue et coûteuse à mettre en place. En outre, l'avènement d'une situation concurrentielle sur les plus petits répartiteurs reste peu probable.

Par conséquent, en dehors des zones dégroupées, la concurrence potentielle qui résulte de l'extension éventuelle du dégroupage s'avère trop parcellaire et trop longue à mettre en place pour exercer une pression significative sur le marché de gros des offres régionales.


III-C. - Conclusion


A l'issue de l'analyse qui précède, l'Autorité considère que la société France Télécom exerce une influence significative sur le marché pertinent de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional.


IV. - AVIS DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE


Conformément à l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, l'Autorité a sollicité l'avis du Conseil de la concurrence sur la délimitation des marchés pertinents et sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative.

Le conseil confirme l'analyse de l'Autorité quant au caractère pertinent du marché ainsi défini pour une régulation ex ante ainsi que pour la désignation de France Télécom comme opérateur exerçant une influence significative.


IV-A-1. Sur la régulation adaptée des marchés de gros


Le conseil confirme qu'une régulation du marché de détail sous-jacent ne serait pas pertinente et qu'il existe par ailleurs d'autres outils permettant d'agir sur ce marché en cas de dysfonctionnement. Il considère ainsi que la régulation ex ante est justifiée pour les seuls marchés de gros, dans les termes suivants :



« Une régulation efficace de ces offres de gros, qui s'attache à vérifier non seulement qu'elles respectent, lorsque cela est nécessaire, le principe de l'orientation vers les coûts, mais aussi qu'elles permettent efficacement la réplicabilité dans des conditions normales du marché - tant du point de vue technique, opérationnel qu'économique - des offres de détail de France Télécom, paraît plus adaptée. »


IV-A-2. Sur la pertinence du marché

au regard de la régulation ex ante


Le conseil souligne que dans le document qui lui a été transmis, l'ART n'avait pas démontré « dans sa saisine le besoin de régulation ex ante sur ces marchés. Le conseil souhaiterait attirer l'attention de l'ART sur ce point de méthode. Il ne ressort ni de la directive-cadre du 7 mars 2002 ni de sa transposition en droit national que, pour les marchés recensés par la Commission européenne, les ARN peuvent se dispenser de procéder à une analyse concurrentielle de leurs marchés nationaux. » Cette observation est prise en compte dans la partie II-C de la présente décision.

Le conseil examine dans le cadre de son avis « si les obstacles au développement d'une concurrence effective sur les marchés de gros de l'accès large bande DSL sont tels que le droit de la concurrence ne puisse suffire à les résoudre [...] ».

En ce qui concerne les obstacles au développement de la concurrence sur les marchés de gros du haut débit, le conseil constate qu'il existe de fortes barrières à l'entrée des différents marchés. Il souligne ainsi que :

« Pour être en mesure de faire des offres sur le marché de gros de l'accès large bande au niveau régional, les opérateurs concurrents de France Télécom doivent relier leurs équipements à la boucle locale en cuivre de l'opérateur historique (dégroupage) et déployer un réseau jusqu'aux points de livraison régional. La rentabilité de ces investissements dépend, d'une part, des tarifs des prestations de dégroupage achetées à France Télécom et, d'autre part, des prix qu'ils sont en mesure de pratiquer sur ce marché. Ceux-ci sont contraints à la fois par les prix que France Télécom propose lui-même sur le même marché, mais également par ceux que l'opérateur historique pratique sur le marché aval de l'accès livré en un point national. [...]. Il résulte de ce qui précède que les opérateurs tiers se sont heurtés dans leurs tentatives d'entrée sur les marchés de gros d'accès large bande DSL à de fortes barrières constituées par les prix relatifs de France Télécom sur ces marchés et sur celui du dégroupage. L'allégement de ces barrières a nécessité, outre la régulation spécifique du dégroupage prévue par la réglementation européenne et nationale, de multiples interventions du régulateur. Les prix relatifs de France Télécom sur les marchés de gros renforcent les barrières constituées par ailleurs par le coût de déploiement d'un réseau puisqu'ils en déterminent à tout moment la rentabilité. »

Le conseil en conclut que ces marchés sont pertinents au titre de la régulation ex ante.


IV-A-3. Sur la délimitation des marchés de gros


En ce qui concerne la distinction faite entre offres de gros d'accès large bande au niveau régional et offres de gros large bande livrée à un point de collecte national, ainsi que la dimension géographique des marchés d'accès à large bande, le conseil précise qu'« il partage globalement cette analyse ».

« S'agissant de la délimitation géographique du marché, le conseil constate qu'effectivement les frontières des zones dégroupées et des zones non dégroupées évoluent rapidement. Les conditions de concurrence sur ces zones sont directement liées à la progression de la capillarité des réseaux des opérateurs et à leur déploiement sur les répartiteurs ouverts par France Télécom au dégroupage. Si ce déploiement doit à terme rencontrer une limite du fait de perspectives de rentabilité insuffisantes sur les zones restant à couvrir, cette limite n'est pas connue aujourd'hui. [...] Une délimitation géographique des zones non dégroupées pourrait donc artificiellement figer le marché et restreindre sa dynamique. L'absence de distinction a priori s'inscrit bien, au cas d'espèce, dans la démarche prospective imposée par le nouveau cadre réglementaire, particulièrement pertinente sur les marchés du haut débit compte tenu des évolutions très rapides qui peuvent y être constatées. »


IV-A-4. Sur la désignation d'un opérateur

disposant d'une influence significative


En ce qui concerne le calcul des parts de marché, « selon une jurisprudence constante des autorités de concurrence tant nationales que communautaires, l'autoconsommation n'est pas prise en compte pour mesurer le périmètre du marché, dans la mesure où, n'étant pas offerte sur le marché, elle ne vient pas concurrencer les biens ou services fournis par celui-ci. [...] l'analyse qui précède ne préjuge pas de l'appréciation du pouvoir de marché de France Télécom, dans la mesure où celui-ci dépend essentiellement de la maîtrise de la boucle locale cuivre marché sur lequel France Télécom est quasiment le seul offreur, et où les accès "disparus des marchés de gros subsistent sur le marché de détail. Les lignes directrices de la commission sur les restrictions verticales, citées par l'ART dans sa saisine, mettent l'accent sur le fait que les effets de l'intégration verticale sur le pouvoir de marché d'une entreprise peuvent être pris en compte, mais que pour autant, pour définir le marché et calculer la part de marché pour les biens et services intermédiaires, la production interne ne sera pas prise en considération ». Cette remarque a été prise en compte dans la partie III-B-1 de la présente décision.

Il précise que « l'opérateur historique est en quasi-monopole sur la boucle locale de cuivre. La pénétration des concurrents sur le marché de gros de l'accès large bande DSL livré au niveau régional est limitée à moins de 5 %. Sur le marché de gros de l'accès large bande DSL livré en un point national, l'ART estime la part de marché de France Télécom, en prenant en compte l'autoconsommation, à plus de 60 % en octobre 2004, contre 80 % en juillet 2004. Toutefois, elle précise que cette progression ne devrait pas se poursuivre (cf. 94 ci-dessus) et avance des éléments qualitatifs qui fondent la puissance de France Télécom sur les marchés de gros du haut débit. Le conseil partage cette position, même en ramenant la part de marché de France Télécom sur le marché de gros régional à moins de 50 % du fait de la non-prise en compte de l'autoconsommation. La taille de France Télécom, son intégration verticale, sa présence sur l'ensemble des marchés des communications électroniques et surtout sa maîtrise de la boucle locale cuivre sont autant d'éléments qui la mettent en mesure, sur ces marchés, de se comporter, dans une mesure appréciable, de manière indépendante de ses concurrents, de ses clients et, en fin de compte, des consommateurs ».

Il conclut de l'ensemble de ces éléments que France Télécom exerce une « puissance significative sur ces marchés ».



V. - COMMENTAIRES DES AUTORITÉS RÉGLEMENTAIRES NATIONALES

ET DE LA COMMISSION EUROPÉENNE


La Commission européenne a indiqué qu'elle n'avait pas d'observation à formuler s'agissant de l'analyse du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional menée par l'Autorité et de ses conclusions,

Décide :


Article 1


Est déclaré pertinent le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional. Ce marché comprend les offres de gros d'accès large bande par DSL livrées au niveau régional indépendamment du type de clientèle finale visée et de l'interface de livraison utilisée. Le périmètre du marché correspond au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte.

Article 2


France Télécom exerce une influence significative sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, tel que défini par l'article 1er de la présente décision.

Article 3


La présente décision s'applique jusqu'au 1er mai 2008 à compter de sa publication au Journal officiel, sans préjudice d'un éventuel réexamen anticipé dans les conditions fixées par les dispositions de l'article D. 301 du code des postes et des communications électroniques.

Article 4


Le directeur général de l'Autorité notifiera à France Télécom la présente décision, qui sera publiée au Journal officiel de la République française.


Fait à Paris, le 19 mai 2005.


Le président,

P. Champsaur